Qui veut tuer le skeuomorphisme ?

Une enquête dans l’art de vouloir faire comme tout le monde.

Axel de Sainte Marie
6 min readDec 22, 2018

Cela fait 10 ans — en mars 2018 — qu’Apple a mise à disposition des développeurs du monde entier le premier SDK(1) iOS (à l’époque iPhoneOS). En 10 ans, le monde des apps est devenu extrêmement complexe et la créativité demandée en terme d’UI(2) relève d’un défi quotidien. Il n’est plus possible aujourd’hui d’utiliser seulement les éléments graphiques fournis par Apple et Android. Vous devez sans cesse faire preuve d’originalité.

Si Steve Jobs a élevé le développeur mobile au rang de Dieu ultime de la nouvelle ère digitale, Johny Ive — et ses confrères de Google, pères du Material Design — a élevé l’UI Designer au rang de demi-dieu, maître absolu du bon goût et gardien ultime de la séparation du bien et du mal pour ce qui se fait et ne se fait pas en matière de design mobile.

L’ère du skeuomorphisme

Avant d’aller plus loin, revenons sur ce qu’est le skeuomorphisme ou l’art d’imiter le réel dans le virtuel.

Oui mais encore ?

Apple — dans le design de ses applications sur Mac et sur iPhone — fut un grand adepte du skeuomorphisme. Sur Mac, l’application Calendar en était un exemple parfait. Le haut de l’application imitait le cuir d’un agenda physique, et lorsqu’on changeait d’année, on pouvait observer le reste de la feuille du mois précédent légèrement déchiré dans le coin gauche supérieur. Cette manière de représenter du réel dans un logiciel virtuel, est du skeuomorphisme.

On peut voir en haut à droit de l’app (au dessus de Reminders), un bout de page déchiré.

Les premières versions d’iOS étaient une ode entière au skeuomorphisme. Si on veut cité un exemple, on pourra prendre celui de l’application iBooks qui reprenait les codes d’une étagère, avec un effet de relief et une structure en bois.

On trouve ici un exemple parfait de skeuomorphisme qui reproduit une bibliothèque “réelle” dans un monde virtuel

Et Johny créa le Flat Design

Puis Apple présenta iOS 7 en 2013, et son nouveau design signé par Johny Ive et ses équipes. Fini le skeuomorphisme, le Flat Design était né.

À gauche, la première version de la calculatrice de l’iPhone reproduisant le relief d’une machine réelle. À droite la version FlatDesign de la même calculatrice.

Dans les équipes de développement et de design mobile ce fut la révolution. Maître Ive avait parlé, et l’ensemble des applications mobiles devaient être repensées en Flat. Ce renouveau dans le design a été très bénéfique pour les applications mobiles. La proximité de tons donnés par le Flat Design d’Apple et le Material Design de Google a permis de créer des applications plus proches entre les deux OS mobiles, tout en gardant une personnalité propre à chaque OS, sans toutefois démultiplier le travail du designer.

Beaucoup d’éditeurs d’applications se sont alors rendu compte que l’UI n’était pas qu’une étape optionnelle, mais au contraire un atout de choc pour sublimer leurs applications, et les faire adopter par leurs utilisateurs.

Si les utilisateurs ont, dans leurs premières années d’adoption des applications dans leur vie courante, cherché des applications pratiques ou ludiques, sans forcément se soucier des détails graphiques, il n’en est plus rien aujourd’hui. Il faut maintenant des applications qui soient pratiques ET jolies. Les utilisateurs ont maintenant développé un œil critique sur ce sujet.

Sur ce point, et pour avoir rendu notre usage mobile beau et pratique, nous pouvons grandement remercier Johny Ive et toutes les personnes ayant œuvré à l’adoption des bonne pratiques en terme d’UI.

La religion du dieu unique

Mais voilà, comme toute bonne chose, l’abus peut en être dangereux. Apple et Google ont créé des bonnes pratiques de design, et nos designers les maîtrisent à la perfection. À tel point que nous sommes passés de l’univers de la création à l’univers de la photocopie.

À vouloir trop bien faire, les designers mobiles d’aujourd’hui ont oublié de mettre en œuvre la créativité, censée être à la base de leur métier, pour devenir des machines à reproduire des écrans.

Nous avons dans les mains un portefeuille d’applications dont les concepts sont différents, dont les fonctionnalités leur sont propres, mais où la beauté n’est plus un élément distinctif, étant donné qu’elles répondent toutes aux mêmes canons de beautés définis par nos amis californiens.

Je ne rejette en rien cette pratique d’utiliser les règles standard. Au contraire, cela permet à des éditeurs / développeurs, de pouvoir produire des applications qui sont jolies, dans lesquelles chacun retrouvera ses réflexes — donc une meilleure adoption pour une application grand publique — et ce à moindre frais, étant donné qu’il n’est plus nécessaire d’avoir un designer à disposition. En effet, s’il suffit maintenant de copier, pas besoin de savoir créer!

Partant de cette conclusion, je me permets de poser deux questions, qui sont en fait les points de départ de ma réflexion.

Première question : si un designer est censé créer, pourquoi la majorité se contente-t-elle de copier ?

Seconde question : si je veux développer une application au design “original”, à qui dois-je m’adresser ?

Lors d’une expérience récente, j’ai demandé pour un projet la création de maquette pour une nouvelle app, dans laquelle les porteurs du projet souhaitaient intégrer des principes de skeuomorphisme. C’était un souhait important pour eux et non négociable.

Et là je me suis retrouvé face à une réaction de rejet complet par un UI Designer. Ce dernier ne souhaitait pas intégrer des idées issues du skeuomorphisme, car cela avait déjà été trop fait, mais surtout ça ne se faisait plus.

Outre le fait que cette personne n’était pas obligé de répondre positivement à la demande de devis, j’ai surtout été choqué par le côté “ça ne se fait plus”. Ce dernier point était son argument majeur.

Ok le skeuomorphisme fait parti des 5 premières années de l’iPhone. Mais quelle raison pourrait-on me donner pour lui donner moins d’importance que le flat design qui a autant d’années au compteur. Le Flat aussi a finalement été fait et refait.

C’est bien à ce moment là que la création devrait s’exercer. Si le designer est l’échelon essentiel du processus de création, pourquoi ne pourrait il pas créer un design en se servant d’éléments du passé.

Si je prends un parallèle évident qui est celui de la mode, ne voit on pas en cycle la création via la réutilisation ? Prenez l’exemple du jean troué qui a vu son apogée au début des années 90 avec l’explosion du Grunge. La mode du jean troué a disparu puis est revenu sous d’autres formes et ce en boucle depuis presque 30 ans. Il s’est adapté aux nouvelles coupes, aux nouvelles tendances. Il a été fait et refait mais en étant adapté.

Pourquoi ne pourrait-on pas non plus réinventer le skeuomorphisme ?

Je ne peux conclure qu’en demandant aux nombreux designers qui répondent à des appels d’offre tous les jours, d’y répondre avec honnêteté. S’ils ne veulent faire que du Flat en reprenant des codes déjà éprouvées, qu’ils l’indiquent dans leur devis.

Vous avez en main la possibilité de créer les univers de projets qui sont les trésors de leur créateur. Ayez l’honnêteté de faire la différence dans vos réponses entre fournir un design “passe partout” qui va permettre au projet de se conformer à l’air du temps sans prendre aucun risque, ou créer un design personnalisé pour le projet, qui lui donnera une saveur particulière.

Aucun porteur de projet ne vous en voudrait d’être honnête. Les deux approches sont valables. Elles ont leurs avantages et leurs inconvénients. Mais seul le porteur de projet doit vous dire ce qu’il veut.

(1) Software Kit Development : peut être défini comme une trousse à outils de développement, permettant aux développeurs de créer des applications sur un environnement spécifique (https://fr.wikipedia.org/wiki/Kit_de_d%C3%A9veloppement)

(2) UI : User Interface. Ce terme désigne l’ensemble des éléments graphique permettant à l’utilisateur d’interagir avec un système informatique. Dans le monde du développement mobile, l’UI se résume principalement à la création de la maquette des écrans tels qu’ils seront représentés dans l’application.

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Axel de Sainte Marie
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Written by Axel de Sainte Marie

Show Runner de projets mobiles. Développeur React Native et passionné par les challenges du monde mobile.

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